Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/191

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Soient les seuls, en effet, où germent les talents.
Un mortel peut toucher une lyre sublime,
Et n’avoir qu’un cœur faible, étroit, pusillanime ;
Inhabile aux vertus qu’il snit si bien chaiilci-.
Ne les imiter point et les faire imiter.
Se louant dans autrui, tout poète le nomme
Le premier des mortels, un héros, un grand homme.
On prodigue aux talents ce qu’on doit aux vertus.
Mais ces titres pompeux ne m’abuseront plus.
Son génie est fécond, il pénètre, il enflamme.
D’accord. Sa voix émeut, ses chants élèvent l’âme,
Soit. C’est beaucoup, sans doute, et ce n’est point assez.
Sait-il voir ses talents par d’autres effacés ?
Est-il fort à se vaincre, à pardonner l’offense ?
Aux sages méconnus, qu’opprime l’ignorance,
Prête-t-il de sa voix le courageux appui ?
Vrai, constant, toujours juste, et même contre lui,
Homme droit, ami sûr, doux, modeste, sincère.
Ne verra-t-on Jamais l’espoir d’un beau salaire.
Les caresses des grands, l’or, ni l’adversité
Abaisser de son cœur l’indomptable fierté ?
Il est grand homme alors. Mais nous, peuple inutile.
Grands hommes pour savoir avec un art facile,
Des syllabes, des mots, arbitres souverains.
En un sonore amas de vers alexandrins.
Des rimes aux deux voix, famille ingénieuse,
Promener deux à deux la file harmonieuse !…[1]


Pour être traité de grand homme à son tour, il donne

  1. Ce morceau, depuis Ah ! j’atteste les cieux, a paru dans l’édition de 1833.