Et nous en rions tous. Et lui-même, peut-être,
Rit d’un siècle ignorant qui peut le méconnaître.
Ah ! le sage craintif, que l’avertir attend,
Est de ses grands succès moins sûr et moins content.
Sa retraite longtemps le voit dans le silence,
À bien faire, épuiser sa docte vigilance.
Tout roseau, tout caillou, tout chaume est écarté
Qui troublerait un peu le cristal argenté
De son style riant de grâce et de nature,
Doux, liquide, et semblable à l’onde la plus pure.
Il amollit ce mot qui devenait trop dur ;
Il éclaircit la nuit de ce passage obscur.
Ce vers faible chancelle, il accourt, il l’étaie ;
Il voit tout son poème. Il le tâte, il l’essaie.
S’il est sévère et doux ; s’il n’y faut rien changer ;
S’il coule sur un fil délicat et léger.
À force d’effacer et d’effacer encore,
D’avoir en travaillant joint le soir à l’aurore.
Quand son ouvrage mûr sans broncher, sans périr.
Sur un pied ferme et droit peut enfin se tenir,
Il tente le hasard, et sa modeste plume
Laisse échapper au jour un timide volume.
Alors un juge expert, dans un prudent écrit
Que le jour, la semaine ou le mois a produit.
S’assied, prend sa balance inflexible et subtile :
Nous pensons, nous croyons. — Juge vain et débile,
Si votre cœur s’embrase au vrai souffle des arts.
Eh bien ! que tardez-vous d’offrir à nos regards.
Dans quelque noble essai, leur empreinte suprême ?
Nul n’est juge des arts que l’artiste lui-même.
L’étranger n’entre point dans leurs secrets jaloux.
Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/194
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