Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

N’ont point lui de ces temps les astres généreux.
Cependant il intrigue, et sa main clandestine
Flatte un ami tranquille et creuse sa ruine ;
Ou ses hardis vaisseaux, déjà loin de nos ports
Vont de l’Inde à vil prix acheter les trésors ;
Ou pour lui l’Amérique, à nos mœurs façonnée.
Ravit les noirs enfants de la triste Guinée ;
Ou bien un bruit répand que Séjan, près du roi,
À laissé, par sa mort, un précieux emploi.
Tous briguent cet honneur. Mais de l’art, du génie.
L’or, des amis vendus, un peu de calomnie,
Pourront, du temple obscur d’où partent les succès,
Parmi tout ce concours faciliter l’accès.
Rien ne lui coûtera. Nul soin, nul stratagème.
Il part. En un moment redevenu lui-même,
Il oublie à jamais d’importunes chansons.
Fier même d’insulter ces rustiques leçons.
Abandonnant les sots à leurs vertus stériles,
Il se fait un honneur de ses crimes utiles.

Tel l’arbuste pervers, à sa fange attaché,
Croît et glisse en rampant sous la terre caché.
Qu’un enfant le délie, et, d’une main habile,
Redresse avec effort sa tige difficile :
Tant qu’il est retenu, vaincu par son appui,
Il cède, et vers le ciel s’élève malgré lui.
Mais, essayant toujours ses racines esclaves.
Pour peu qu’il ait senti relâcher ses entraves.
Il redouble sa lutte, et, prompt à s’échapper,
Se rend au vil penchant qui le force à ramper.