Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/272

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Ô ! que n’ai-je moi seul tout l’éclat et la gloire
Que donnent les talents, la beauté, la victoire,
Pour fixer sur moi seul ta pensée et tes yeux !
Que loin de moi, ton cœur fût plein de ma présence
Comme, dans ton absence,
Ton aspect bien-aimé m’est présent en tous lieux.

Je pense : Elle était là. Tous disaient : « Qu’elle est belle ! »
Tels furent ses regards, sa démarche fut telle,
Et tels ses vêtements, sa voix et ces discours.
Sur ce gazon assise, et dominant la plaine,
Des méandres de Seine,
Rêveuse, elle suivait les obliques détours.[1]

Ainsi dans les forêts j’erre avec ton image ;
Ainsi le jeune faon, dans son désert sauvage,
D’un plomb volant percé, précipite ses pas.
Il emporte en fuyant sa mortelle blessure ;
Couché près d’une eau pure,
palpitant, hors d’haleine, il attend le trépas.


VI[2]


Mai de moins de roses, l’automne
De moins de pampres se couronne,
Moins d’épis flottent en moissons,
Que sur mes lèvres, sur ma lyre,

  1. Mme Laurent-Lecoulteux (Fanny) habitait Lucienne.
  2. Notice de Sainte-Beuve, 1839.