Aller au contenu

Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à rappeler les antiques institutions, à tonner sur les vices présents, à servir au moins la postérité, à pleurer sur la Patrie ; et ne pouvant, à travers les armes et les satellites, la délivrer avec le feu, ils soulagèrent leur bile généreuse sur le papier, et firent peut-être quelquefois rougir les esclaves et les oppresseurs.

Mais ce courage fut rare et ne dura point ; car à mesure que le temps, l’argent et l’activité affermirent les tyrannies, les écrivains, effrayés par le danger ou attirés par les récompenses, vendirent leur esprit et leur plume aux puissances injustes, les aidèrent à tromper et à nuire, enseignèrent aux hommes à oublier leurs droits ; et se disputant à qui donnerait les plus illustres exemples de servitude, l’art d’écrire ne fut désormais que l’art de remplir de fastidieuses pages d’adulations ingénieuses, et par là plus ignominieuses ; et par cette bassesse mercantile, les saintes lettres furent avilies et le genre humain fut trahi. De là les esprits généreux, si ces siècles ignobles en produisirent quelques-uns, à qui une nature meilleure eût donné une âme plus forte et un jugement plus sain, méprisèrent la littérature, n’ayant lu que les écrits de ces temps de misère, et négligeant d’étudier les lettres antiques, qui n’avaient point appris la vertu à ceux qui faisaient profession de les savoir ; mais ensuite, après avoir erré dans les projets, dans les charges, dans les voluptés ; las d’une vie agitée et vide, et ne sachant où paître leur âme avide de connaissances et de vrais honneurs, ils retournèrent aux lettres, les séparèrent des lettrés, étendirent leurs