Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/340

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font foi ; car les manières de parler proverbiales, étant toujours le fruit des usages d’une nation, de ses habitudes, de ses mœurs publiques et de sa façon de parler et de sentir, ne sont pas des témoins récusables. Il est bon que la postérité sache donc que jusqu’aujourd’hui la liberté n’était pas chez nous, comme chez les anciens, une vertu sans laquelle il n’est point de vertu ; elle était un vice ; le désir de la posséder un crime, son nom seul une injure : si bien que lorsqu’un homme était accusé de penser librement (c’est l’expression qu’on employait et non pas une autre), on l’évitait, on recommandait aux jeunes gens de le fuir, on déplorait pathétiquement le sort des malheureux qui suçaient le poison d’une société si dangereuse ; et lorsqu’un Montaigne, un Bayle, un Rousseau, un Montesquieu réclamaient contre l’excès des tyrannies royales ou ecclésiastiques, ou seulement en indiquaient la véritable source qu’on avait tant d’intérêt à cacher, la plupart des lecteurs anathématisaient l’ouvrage, en disant qu’il était plein de pensées libres ; honorable reproche que trop peu d’auteurs ont mérité.



VII[1]

SUR LE MARQUIS DE VILLETTE


… Et pour vous montrer que l’on peut suivre ce parallèle, jusque dans les minuties les plus impercep-

  1. Publié dans l’édition de 1840.