Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/139

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De ce faîte serein, son Olympe sublime,
Il voit, juge, connaît. Un démon magnanime
Agite ses pensers, vit dans son cœur brÛlant.
Travaille son sommeil actif et vigilant,
Arrache au long repos sa nuit laborieuse.
Allume avant le jour sa lampe studieuse,
Lui montre un peuple entier, par ses nobles bienfaits.
Indompté dans la guerre, opulent dans la paix.
Son beau nom remplissant leur cœur et leur histoire,
Les siècles prosternés au pied de sa mémoire.

Par ses sueurs bientôt l’édifice s’accroît.
En vain l’esprit du peuple est rampant, est étroit,
En vain le seul présent les frappe et les entraîne,
En vain leur raison faible et leur vue incertaine
Ne peut de ses regards suivre les profondeurs.
De sa raison céleste atteindre les hauteurs ;
Il appelle les dieux à son conseil suprême.
Ses décrets, confiés à la voix des dieux même.
Entraînent sans convaincre, et le monde ébloui
Pense adorer les dieux en n’adorant que lui.
Il fait honneur aux dieux de son divin ouvrage.
C’est alors qu’il a vu tantôt à son passage
Un buisson enflammé receler l’Éternel ;
C’est alors qu’il rapporte, en un jour solennel,
De la montagne ardente et du sein du tonnerre,
La voix de Dieu lui-même écrite sur la pierre ;
Ou c’est alors qu’au fond de ses augustes bois
Une nymphe l’appelle et lui trace des lois,
Et qu’un oiseau divin, messager de miracles,
À son oreille vient lui dicter des oracles.
Tout agit pour lui seul, et la tempête et l’air.
Et le cri des forêts, et la foudre et l’éclair ;
Tout. Il prend à témoin le monde et la nature.
Mensonge grand et saint ! glorieuse imposture,
Quand au peuple trompé ce piège généreux
Lui rend sacré le joug qui doit le rendre heureux !

(Troisième chant.)