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Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/46

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S’élance, va saisir sa chevelure horrible,
L’entraîne, et, quand sa bouche, ouverte avec effort,
Crie, il y plonge ensemble et la flamme et la mort.
L’autel est dépouillé. Tous vont s’armer de flamme,
Et le bois porte au loin des hurlements de femme,
L’ongle frappant la terre, et les guerriers meurtris,
Et les vases brisés, et l’injure, et les cris.

Ainsi le grand vieillard, en images hardies,
Déployait le tissu des saintes mélodies.
Les trois enfants émus, à son auguste aspect,
Admiraient, d’un regard de joie et de respect,
De sa bouche abonder les paroles divines,
Comme en hiver la neige aux sommets des collines.
Et, partout accourus, dansant sur son chemin,
Hommes, femmes, enfants, les rameaux à la main,
Et vierges et guerriers, jeunes fleurs de la ville,
Chantaient : « Viens dans nos murs, viens habiter notre île ;
Viens, prophète éloquent, aveugle harmonieux,
Convive du nectar, disciple aimé des dieux ;
Des jeux, tous les cinq ans, rendront saint et prospère
Le jour où nous avons reçu le grand Homère. »


II

LE MENDIANT


C’était quand le printemps a reverdi les prés.
La fille de Lycus, vierge aux cheveux dorés,
Sous les monts Achéens, non loin de Cérynée,
....................
....................
Errait à l’ombre, aux bords du faible et pur Crathis,
Car les eaux du Crathis, sous des berceaux de frêne,
Entouraient de Lycus le fertile domaine.
........Soudain, à l’autre bord,
Du fond d’un bois épais, un noir fantôme sort,
Tout pâle, demi-nu, la barbe hérissée :
Il remuait à peine une lèvre glacée,