Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/55

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Il ouvre un œil avide, et longtemps envisage
L’étranger. Puis enfin sa voix trouve un passage.

« Est-ce toi, Cléotas ? toi qu’ainsi je revoi ?
Tout ici t’appartient. Ô mon père ! est-ce toi ?
Je rougis que mes yeux aient pu te méconnaître.
Cléotas ! ô mon père ! ô toi qui fus mon maître,
Viens ; je n’ai fait ici que garder ton trésor,
Et ton ancien Lycus veut te servir encor ;
J’ai honte à ma fortune en regardant la tienne. »

Et, dépouillant soudain la pourpre tyrienne
Que tient sur son épaule une agrafe d’argent,
Il l’attache lui-même à l’auguste indigent.
Les convives levés l’entourent ; l’allégresse
Rayonne en tous les yeux. La famille s’empresse ;
On cherche des habits, on réchauffe le bain.
La jeune enfant approche ; il rit, lui tend la main :
« Car c’est toi, lui dit-il, c’est toi qui, la première,
Ma fille, m’as ouvert la porte hospitalière. »



II

La Liberté


Un Chevrier, Un berger

 

le chevrier

Berger, quel es-tu donc ? qui t’agite ? et quels dieux
De noirs cheveux épars enveloppent tes yeux ?

le berger

Blond pasteur de chevreaux, oui tu veux me l’apprendre :
Oui, ton front est plus beau, ton regard est plus tendre.

le chevrier

Quoi ! tu sors de ces monts où tu n’as vu que toi,
Et qu’on n’approche point sans peine et sans effroi ?