Rien ne le satisfait ; ils ont trop peu de laine ;
Ou bien ils sont mourants, ils se traînent à peine ;
En un mot, tout est mal. Si le loup quelquefois
En saisit un, l’emporte et s’enfuit dans les bois,
C’est ma faute ; il fallait braver ses dents avides.
Je dois rendre les loups innocents et timides !
Et puis menaces, cris, injure, emportements,
Et lâches cruautés qu’il nomme châtiments.
Toujours à l’innocent les dieux sont favorables :
Pourquoi fuir leur présence, appui des misérables ?
Autour de leurs autels, parés de nos festons,
Que ne viens-tu danser, offrir de simples dons,
Du chaume, quelques fleurs, et par ces sacrifices
Te rendre Jupiter et les nymphes propices ?
Non ; les danses, les jeux, les plaisirs des bergers,
Sont à mon triste cœur des plaisirs étrangers,
Que parles-tu de dieux, de nymphes et d’offrandes ?
Moi, je n’ai pour les dieux ni chaume ni guirlandes ;
Je les crains, car j’ai vu leur foudre et leurs éclairs ;
Je ne les aime pas : ils m’ont donné des fers.
Eh bien ! que n’aimes-tu ? Quelle amertume extrême
Résiste aux doux souris d’une vierge qu’on aime ?
L’autre jour à la mienne, en ce bois fortuné,
Je vins offrir le don d’un chevreau nouveau né.
Son œil tomba sur moi, si doux, si beau, si tendre !…
Sa voix prit un accent !… Je crois toujours l’entendre.
Eh ! quel œil virginal voudrait tomber sur moi ?
Ai-je, moi, des chevreaux à donner comme toi ?
Chaque jour, par ce maître inflexible et barbare,
Mes agneaux sont comptés avec un soin avare.