Page:Chair molle.djvu/111

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honte, sans un remords, tant sa dépravation était abominable ! Quels remerciements ne devait-elle pas au Seigneur, pour lui avoir envoyé cette bienfaisante maladie ? Monsieur le Directeur avait raison : c’était une miraculeuse intervention de la grâce. Sans ce mal, elle n’aurait jamais eu le bonheur de revenir aux saintes pratiques de la religion.

La sœur s’arrêta, ayant récité la première partie de l’oraison dominicale. Tirée de ses réflexions par ce silence subit, Lucie leva la tête et aperçut la salle d’un coup d’œil. Mais ses voisines avaient déjà repris l’oraison, et elle dut prier tout haut. Ses lèvres remuaient machinalement, sans qu’elle songeât au sens des paroles prononcées.

Elle regardait autour, dans un bien-être. Tout expirait le calme et la propreté laborieuse : la table supportant des pelotes hérissées d’aiguilles et d’épingles, des pièces de toile ; les ouvrières agenouillées dans leurs costumes uniformes, sans une tache, sans une déchirure ; la pâleur des grands murs badigeonnés, où se découpait nettement la croix brune peinte au-dessus de la chaire ; le bois ciré de la chaire ; la dame patronnesse gantée de clair jusqu’au coude, lisant en un livre couvert d’ivoire ; et aussi ce demi-silence, où s’élevait, seule, la voix mesurée de la religieuse, une voix adorante et humble. Quelle joie ! ne plus entendre