Page:Chair molle.djvu/140

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Dosia, qui allongeait le cou pour souffler à madame Bronier les paroles d’un couplet, se retourna vers sa camarade :

— Ça, c’est la haute gomme !

La nuit avançait, le pianiste accordait aux chanteuses épuisées de longs repos. Des fragments de conversation arrivaient à Lucie. On la commentait, on supputait le tarif de ses nuits. Habituée, par sa vie antérieure, à s’entendre ainsi marchandée, une appréciation élogieuse la flatta.

Dans un autre groupe, des vanteries étaient lancées, des énumérations de pièces abattues. Les jeunes gens s’injuriaient, déversaient, à plaisir, l’ordure des épithètes grasses. Ils se narraient aussi des tours joués aux filles. Lucie Thirache s’indignait à les écouter s’enorgueillir des amours non payées, volées. Leurs maîtresses, silencieuses, sirotaient leur boisson ou bien, tout bas, se parlaient, et quelques-unes, profitant de l’animation des disputes, adressaient, par dessus l’épaule de leur miché, des œillades entendues à d’autres hommes, installés plus loin. Lucie, dédaigneuse, les méprisa.

Maintenant, suffoquées par l’odeur montante de la fumée, étourdies par les exclamations bruyantes échangées de table à table, les chanteuses hurlaient sans conviction, impuissantes à dominer le tumulte.