Page:Chair molle.djvu/168

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étonnante. Ses paroles dévalaient sans arrêt, avec des inflexions grotesques, des calembours, une débauche de cris et de gestes. On n’était pas plus drôle. Lucie et Dosia s’émerveillaient, riaient, s’indignaient, craignaient l’interrompre, toutes à l’admiration de ce bagou. Et, lorsque l’homme était parti après avoir siroté plusieurs verres de punch ou de café, les deux femmes débordaient en éloges. Elles se communiquaient les mots retenus, leurs surprises joyeuses, ressassaient les plaisanteries du comique.

Insensiblement, Cretson devint pour Lucie un compagnon nécessaire ; elle avait un besoin de l’entendre toujours. Et la fille eut une vraie douleur lorsque, un beau jour, il quitta la troupe, après une dispute très chaude avec Bronier. Il partit sans même dire un adieu aux chanteuses.

Lucie, restée seule encore une fois, voulut reprendre sa vie paresseuse de sommeil et d’avachissement. Mais la société du comique lui avait donné une irrésistible envie d’avoir quelqu’un près elle. Elle ne pouvait plus dormir. Elle s’ennuyait affreusement au lit. Son existence lui apparaissait maintenant très vide, d’une monotonie désolante. Dosia elle-même ne la distrayait plus, cette fille s’était liée avec Madame Bronier qui, dans une toquade de vieille femme trop chaste, la poursuivait partout, et la comblait de cadeaux. Lucie, séparée de son amie, sentait