Page:Chair molle.djvu/204

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uniforme et vague coupé par le roulement des voitures attardées. On fermait les boutiques. Les cafés, par flots, se vidaient. Le théâtre, aux entr’actes, dégorgeait la foule des spectateurs et Lucie, revenue sur la place, faisait alors de longues stations, son cache-poussière entrebâillé afin de paraître plus avenante. Lorsque ces manœuvres étaient restées infructueuses, vers onze heures, elle allait aux Bouffes.

La lourde moiteur de l’atmosphère enfumée l’y réchauffait, l’y grisait ; elle devenait très drôle, très hardie, achevait perdre sa morgue de femme chic. Et, toute folâtre, elle courait de tables en tables, lançant des calembours. Elle quêtait des cafés, des chartreuses, en s’asseyant au coin des chaises, avec des rires pour les hommes, des frôlements pour leurs moustaches. Presque toujours, après une demi-heure de ce manège, elle sortait au bras d’un monsieur.

Sous le cadran illuminé de grand’garde, devant l’enfilade réglementaire des fiacres, on débattait le prix. Le marché conclu, on gagnait rapidement la rue du Bois-Saint-Étienne et l’on montait.

Lucie Thirache se livrait ainsi, au premier venu, pour vingt francs.