Page:Chair molle.djvu/38

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— Oui, moque-toi de moi, va ! C’est la première maison que je fais ; c’est le premier soir que j’y passe.

Et elle commença une histoire, enfilant les détails sans hésitation. Elle la composa si émouvante qu’elle s’en attendrit elle-même. Elle était la victime d’un lâche qui l’avait mise enceinte et l’avait plantée-là. Fille de bonne famille, elle ne savait aucun métier, et avait été forcée à se prostituer pour vivre. Lucie voyait l’homme devenir peu à peu moins incrédule ; son émotion le gagnait. Elle attendait les réponses, baissant la tête d’un air navré lorsqu’elles semblaient confirmer son dire, s’impatientant, accumulant les anecdotes, produisant des conversations qu’elle jurait avoir tenues, si un fait paraissait mis en doute.

Eugène se leva pour payer le champagne apporté par Marianne. Il y eut entre les jeunes gens une lutte de générosité. Il fut vainqueur, et Lucie put voir l’or briller au fond de sa bourse. Maintenant, elle était sûre de cette richesse. Et, persuadée d’avoir produit une grande impression, elle était très heureuse, se voyait déjà chez elle, époussetant des meubles en palissandre ou trônant dans une loge, au théâtre. Ce serait encore fort agréable d’être la maîtresse d’un garçon à barbe aussi douce.

Un grand tapage s’élevait : on voulait embras-