Page:Chair molle.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vaux que ne semblaient émouvoir les coups de fouet.

Ailleurs, les sarcleuses, la tête cachée sous les capotes de toile, s’avançaient en ligne, péniblement courbées. Et jusqu’à Lucie arrivaient les cris des conducteurs comme une plainte affaiblie. Elle prenait plaisir à voir travailler les autres, à s’apitoyer sur leur sort, estimant sa carrière fainéante bien plus heureuse : « Oui ! Mais plus tard ? » pensa-t-elle. Et ce « plus tard » lui sembla obscur, plein de menaces. Elle n’était pas certaine, comme ces pauvres paysannes, de trouver jusqu’à la fin l’abri gagné par le travail ; et elle se prit à réfléchir, très triste, trouvant que la campagne énorme, éclairée par le soleil de trois heures avait, une mine de félicité tranquille, de bonheur égoïste, indifférent à son état.

Le fiacre cahotait entre la fabrique qu’on avait atteinte et des maisons basses, à enseignes de cabaret. Des ouvriers, la bouche pleine, taillaient des tartines en des chanteaux de pains.

Lucie, prise d’une curiosité, interrogea Madame :

— Qu’est-ce qu’on fait dans cette fabrique ?

Personne ne le savait. On s’égara en des suppositions contradictoires.

— Tenez, voilà Lambres ! et la maison est là-bas dans les arbres.

Toutes se penchèrent. La route poudreuse