Page:Chair molle.djvu/76

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Et les soirées aussi s’écoulaient, mornes. Il ne venait plus de clients ; tous avaient déserté la ville universitaire dès le mois de juillet. À peine, de temps à autre, un voyageur entrait au salon, jetait sur la table son guide et sa lorgnette, s’écroulait sur le canapé dans un harassement. Il restait peu avec les femmes, pressé de monter, de reposer en un lit la lassitude de ses membres. Ce n’étaient plus les gaies réunions d’hiver où les chants, les danses, les histoires drôles amusaient ces dames ; personne qui leur prêtât un roman ; toute distraction manquait.

L’ennui bientôt empoigna Lucie Thirache. Elle se perdait en des rêvasseries monotones ; elle songeait à son passé, à son amour pour Léon ; et des regrets sans cesse l’attristèrent. Et puis, c’était une appréhension terrifiante de l’avenir ; elle vieillirait, se fanerait, et, quand elle aurait perdu fraîcheur et beauté, on la chasserait des maisons chères ; elle roulerait de bordel en bordel, jusqu’au jour où elle tomberait dans les maisons à un franc, ces bouges infects dont les roulures de passage parlaient avec dégoût, ces bouges où il fallait se livrer à des gens malpropres et à des soldats ivres. Enfin, quand elle serait tout à fait décatie, on la mettrait dans la rue, et alors que deviendrait-elle ? Peut-être aurait-elle la chance de mourir auparavant. Cela vaudrait mieux sans doute. C’était