Page:Chair molle.djvu/78

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Alors le charivari cessait. Une à une, elles chevrotaient leurs airs favoris. Laurence se renversait au dos de sa chaise, s’accompagnait d’une main, allongeant doucement l’autre bras en l’air, suivant le rythme, et soupirait d’antiques romances sentimentales. Reine avait la spécialité des couplets grivois ; elle les clamait à tue-tête, appuyant avec des intentions sur les mots crus, soulignant chaque gauloiserie d’une claque violente sur les cuisses.

Lucie Thirache prit goût à ces exercices. D’abord assez inhabile, elle étudia le solfège, apprit à lire ses notes et s’appliqua avec une scrupuleuse attention à chanter en mesure. Elle passait ses après-midi à susurrer des airs en cherchant les inflexions justes, et, sans se lasser, elle répétait vingt fois des tâtonnements vocaux, des ébauches de ritournelles. Peu à peu elle devint assez bonne chanteuse.

Elle était très fière de son talent, se promettait, la prochaine saison, s’attacher tous les clients par son habileté musicale ; et déjà, elle se voyait en possession de sérieuses économies ; elle pourrait acquitter ses dettes, reconquérir sa liberté, mener une vie indépendante et calme.

Et, infatigablement, elle solfiait.

Au milieu de ses occupations, une angoisse la poignait. Elle avait connu une fille de passage atteinte du mal vénérien, et, depuis, le spectacle