Page:Chair molle.djvu/87

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C’est que, jusqu’alors, dans sa vie nouvelle, Lucie avait souffert d’un isolement pénible. Elle ne sentait entre ses camarades et elle aucun lien affectueux : Les câlineries qu’on lui prodiguait pour obtenir de sa bonté quelque service, cessaient, sitôt le service rendu. Elle s’en désolait, prise de la vague appétence d’un attachement plus durable.

D’abord elle avait recherché l’affection de quelques clients du 7. Mais souvent leurs visites s’espaçaient, et même, s’ils venaient chaque soir, la longue attente où elle restait toute l’après-midi lui devenait une douleur. Et puis, en la présence des hommes, elle se sentait gênée ; dans le plaisir, dans les conversations on la traitait toujours comme une inférieure vénale, jamais comme une égale. Ses expansions étaient repoussées, crues feintes, moquées. Et il fallait encore, le métier l’exigeant, gratiner de faveurs semblables les indifférents et les êtres chéris. Cela la répugnait fort. Ainsi les mâles ne pouvaient satisfaire à ses désirs d’épanchements amoureux. Elle renonça très vite à chercher parmi eux l’idéal rêvé.

Cet idéal, elle se le représentait surtout par le souvenir. C’était Léon, non l’amant, le maître, mais l’amoureux d’avant sa chute, qui l’étreignait toujours, lui chantant de flatteuses paroles, empressé à lui éviter tout chagrin.