Page:Chair molle.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle se vit opérée douloureusement, battue par les sœurs, affamée ; on l’étendait sur des tables de marbre à côté d’instruments tranchants, et l’image de son corps tout semé de plaques rouges, tout bossué d’ulcères, venait encore s’imposer à elle impitoyablement, augmentait son désespoir. Soudain elle se rappela une histoire contée par Léa ; une patronne, à Paris, avait su soustraire ses filles aux investigations de la police. Elle se figura que la Donard avait le même pouvoir, et, pour la supplier d’en user en sa faveur, elle se répandit en objurgations :

— Oh ! madame, je vous en prie, gardez-moi. Enfin c’est chez vous que j’ai attrapé ça, à votre service, pour vous gagner de l’argent. Dites ? n’ai-je pas toujours été une bonne fille ? Vous ne pouvez pas m’abandonner ainsi. Mon Dieu ! mon Dieu ! pauvre fille que je suis ; pourrie à vingt-deux ans, pourrie à vingt-deux ans.

Les poings aux tempes, les yeux fermés, elle répéta plusieurs fois ces mots qui résumaient tout son malheur, tout son avilissement, toutes ses craintes. Puis elle se remit à pleurer, regarda la patronne qui semblait impatiente et faisait de grands gestes, en parlant au docteur prêt à partir. Alors Lucie lui jeta des phrases dramatiques qu’elle avait entendues autrefois au théâtre et dont la réminiscence venait s’imposer à elle tout à coup.