La guerre franco-allemande mit fin au tranquille bonheur de Triebschen, à « l’idylle de Siegfried. » Wagner avait attendu et espéré la renaissance de l’Allemagne : « Seule l’Allemagne, telle que nous l’aimons et la voulons, peut m’aider à réaliser mon idéal », avait-il dit longtemps auparavant. La guerre victorieuse lui apparut comme le baptême de feu de cette renaissance qu’appelaient tous ses vœux ; elle lui promettait cette Allemagne qu’il voulait et aimait.
Dès lors, un devoir sacré l’attendait : il fallait donner au peuple allemand ressuscité la somme et le fruit de sa vie entière. Déjà en novembre 1870, bien avant la fin de la guerre, il écrit : « J’ai encore, vis-à-vis du monde extérieur, une tâche à remplir, l’exécution de mon œuvre des Nibelungen, telle que je l’ai conçue. » Et il ne s’agissait pas seulement là de l’Anneau, mais bien de la création d’une scène allemande idéale, dégagée de toute préoccupation mercenaire, et aussi de ce style dramatique purement et pleinement allemand, que les grands poètes de l’Allemagne avaient, depuis longtemps, cherché et espéré contre toute espérance. Le moment était venu où l’œuvre désirée pouvait et devait aboutir ; en l’entreprenant, Wagner ne posait pas le couronnement de son art à lui seulement, mais bien aussi celui de ce développement unique, qu’on peut suivre, dans l’art allemand, à plus d’un siècle en arrière, à travers les œuvres des poètes et des musiciens. « Je n’ai plus qu’à dévoiler cet édifice que l’esprit allemand a préparé dans un long silence, et à le dépouiller de son déguisement, dont les derniers lambeaux vont bientôt, comme les bribes d’un voile en guenilles, se dissiper et disparaître dans une atmosphère artistique purifiée. » Et c’est pourquoi il ajoute, dans la lettre citée plus haut : « Maintenant, il faut