Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

superficiel eût appelé les seuls empêchements qu’il dût connaître, les obstacles intérieurs se dressaient plus impérieux en lui. De plus en plus, le maître mesurait l’abîme existant entre « les exigences du génie allemand, telles qu’elles ressortent des œuvres des grands maîtres », d’une part, et, d’autre part, « les résultats publics obtenus dans le domaine de l’art du théâtre » ; aussi, sentit-il bientôt en lui « un pressant besoin intérieur de réclamer avec instance les réformes voulues et de faire naître l’intérêt pour elles », besoin pénible et douloureux, dont lui-même, dit-il, « avait plus souffert que le monde ne saurait s’en faire l’idée ».

C’est que, comme nous l’avons vu, il ne s’agissait pas seulement, pour lui, d’une réforme de l’art dramatique ; ou plutôt, cette réforme ne pouvait à ses yeux en être une, tant que la dignité de l’art lui-même ne serait pas connue et reconnue. Tout d’abord il avait vu dans l’art « le plaisir qu’on prend à être ce qu’on est, la joie d’exister » ; plus tard, il le définit : « la plus haute manifestation de la vie des hommes en commun » ; définition qu’il approfondit encore bientôt en faisant de l’art, par une métaphore empruntée à la mécanique : « le moment le plus puissant de la vie humaine ». Et pour qu’on ne s’y méprenne point, il ajoute que l’art ne parviendra à ce degré de dignité que « quand il sera compris, non plus à côté et en dehors de la vie, mais comme en faisant partie intégrante, dans la multiple variété de ses manifestations ». Dans la société actuelle, l’art sert surtout à amuser et à distraire, tout au plus y voit-on une noble récréation après les travaux de la journée. Nos théâtres, Schiller s’en plaignait déjà, semblent avoir pour but « de préparer au sommeil le savant fourbu et l’homme d’affaires harassé ». Mais