Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/179

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le dernier écho des « sottises » de l’époque révolutionnaire ; par contre, la rencontre de Schopenhauer, « le plus génial des hommes », au dire du comte Tolstoï, reste l’événement capital de toute la vie de Wagner. C’est là seulement que son esprit trouva la conception du monde qu’il lui fallait et que, jusqu’alors, il avait vainement cherchée ; c’est là seulement que se fondirent enfin, les deux moitiés « si étrangement désagrégées » de son être, le poète et le penseur, pour former dans leur unité et dans leur harmonie une personnalité consciente d’elle-même : le penseur voit plus loin et plus profond, l’artiste trouva des forces nouvelles, les vues du politique gagnèrent en clarté ; et l’esprit chrétien, celui de la pitié, de la soif de rédemption, de la fidélité j’usqu’à la mort, de l’acceptation résignée d’une volonté supérieure, rentra dans ce cœur d’où, bien des années auparavant, Tannhäuser et Lohengrin avaient jailli déjà. Au-dessus de la table de travail du maître, un seul portrait, celui du grand philosophe ; et Wagner écrivait, en 1868, à Lenbach, l’auteur de ce beau portrait : « Je n’ai qu’un seul espoir pour la culture de l’esprit allemand : c’est qu’un temps viendra où Schopenhauer deviendra la norme de notre pensée et de notre connaissance. »

Mais si Wagner, dès qu’il apprit à connaître la philosophie de Schopenhauer, se l’appropria aussitôt et en fit dès lors la compagne constante de sa vie, c’est que cette philosophie avait toujours été la sienne, non pas à l’état de concepts et de notions systématiques, mais bien en tant qu’instinct, et surtout en tant qu’intuition artistique. Ce ne fut point du tout, comme quelques-uns l’ont cru, par suite « d’un développement intellectuel », que Wagner devint, en 1854, disciple de Schopenhauer ; il l’eût été dès 1844, si le hasard lui avait alors