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Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/187

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tion fort complexe dans ses ramifications ; il ne l’est pas, ne fût-ce déjà que parce que pareille enquête obligerait l’auteur à exposer ses vues personnelles, alors qu’il n’a d’autre but que de guider le lecteur dans l’étude de l’homme que fut Wagner, tout en lui laissant sa pleine liberté d’appréciation. Mais il est, en tout cas, singulier, et même au premier moment déconcertant, que, comme on peut le voir par tout ce qui vient d’être dit, Wagner nous laisse, à beaucoup d’égards, l’impression d’avoir été un « Schopenhauérien », orthodoxe plutôt avant qu’après avoir connu la doctrine de Schopenhauer.

On ne saurait, d’ailleurs, toucher le fonds de tous ces paradoxes, de toutes ces contradictions qu’en se pénétrant bien de cette idée que, dans tout ce qui est théorique ou philosophique, Wagner ne laisse entrevoir qu’une fraction de sa nature. Ce n’est pas seulement avant tout, c’est en tout qu’il est artiste. Dans une lettre à Rœckel, il avoue « combien peu il se croit philosophe », et il ajoute : « Je ne puis m’exprimer qu’en œuvres d’art. »

Et rien, d’autre part, ne prouve mieux combien périlleux est de vouloir extraire une signification philosophique d’une œuvre d’art que l’exemple qu’en donne Wagner lui-même. En 1852, il dit de l’Anneau du Nibelung que « sa vision du monde y trouve sa plus parfaite expression artistique» ; et il qualifie cette vision « d’hellénistico-optimiste » ; deux ans plus tard il découvre, dans cette même œuvre, l’expression de la philosophie germano-pessimistique ! « L’artiste se trouve devant son œuvre d’art, une fois achevée, comme devant une énigme, sur laquelle il peut tomber dans les mêmes erreurs que d’autres » : voilà les propres expressions de Wagner, elles devraient, tout au moins, protéger ses œuvres