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Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/191

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sa maîtresse, et après cette autre parole : « Mon cœur sur ton cœur, ma bouche sur ta bouche ! » Si lseult et Tristan maudissent le soleil, flambeau du jour, c’est « parce qu’il se repaît éternellement de leurs douleurs » ; tandis que Schopenhauer enseigne que : « L’essence de la négation ne consiste pas dans l’horreur que pourraient nous inspirer les souffrances de la vie, mais bien dans celle qu’il nous faut avoir pour ses réjouissances » (Œuvres complètes, II, 471). Si donc ce drame contient une philosophie, c’en est une diamétralement opposée à celle qui enseigne la négation de la volonté : Buddha s’enfuit loin de sa belle jeune femme pour devenir un sage, tandis que la seule chose qui attache Tristan à la vie est « la brûlante ardeur de son amour ». On peut ajouter ici, considération décisive, que la pitié, qui joue un rôle si saillant dans toutes les œuvres antérieures de Wagner, fait complètement défaut dans Tristan. Cette œuvre splendide, par conséquent, n’a aucun rapport, ni métaphysique, ni moral, avec Schopenhauer. On peut en dire autant de Parsifal, où nous retrouvons la pitié, il est vrai, comme point central du drame, mais nulle part une seule trace de la négation de la volonté, et où le renoncement strictement pessimiste (que devait exprimer l’œuvre des Vainqueurs, restée inachevée) fait place à l’action, au déploiement de l’énergie.

Nous ferons donc bien de ne pas trop mêler l’un à l’autre l’art de Wagner et sa philosophie. Nous y gagnerons cette conviction, que sa vision du monde et des choses, dans le sens le plus étendu que ces termes comportent, est loin d’être épuisée ou seulement suffisamment exprimée, par sa profession de foi philosophique. Sans doute, sa confiance en Schopenhauer était illimitée ; mais ce point de vue philosophique