Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/350

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y réussit par un trait unique : « Celui-là seul qui renie l’amour peut, par le moyen de l’or, atteindre à la domination universelle ». Voilà, écrit le maître à Uhlig, « voilà le principe formateur de mon œuvre jusqu’à la mort de Siegfried » ; et ce même principe, justement comme déjà dans les Maîtres Chanteurs, put s’incorporer au drame sans modifier sensiblement le cours des péripéties extérieures. Par contre, l’action proprement dite du drame en fut entièrement métamorphosée. Dès lors, la malédiction dont Alberich dote l’anneau dérobé, cette effroyable « bénédiction », comme il l’appelle, ne joue plus qu’un rôle extérieur ; elle ne sert plus qu’à inspirer et à souligner le geste visible, qui prend, dans le drame, et grâce à la traduction musicale, une si haute signification. L’anneau lui-même est déjà chargé d’une malfaisante fatalité, parce qu’il n’a été obtenu que par un crime contre ce qu’il y a de plus saint dans le cœur de l’homme, contre l’amour.

Qui aspire à la puissance, se rend, par un moyen plus ou moins direct, coupable du même crime qu’Alberich.

« Je touchai l’anneau d’Alberich, ma main avide se crispa sur l’or ! Et maintenant, elle ne me fuit plus, la malédiction loin de laquelle je voulais fuir : ce qui m’est cher, il me faut l’abandonner, il me faut devenir le meurtrier de ce que j’aime, tromper et trahir quiconque se confie en moi ! » Ainsi parle Wotan.

Et quiconque, même sans chercher la puissance, saisit le symbole maudit, tombe, lui aussi, sous le décret du sort inexorable. L’homme n’est pas seul dans le monde : et si la pensée arienne la plus profonde avait déjà reconnu que l’illusion individuelle ne fait qu’un avec la décevante mâyâ, la grande tragédie parle le même langage, mais sous forme artistique