Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/374

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dire à l’intelligence, il ajoute la collaboration de l’œil. Là, nous avons, au lieu du masque, les traits mobiles du visage ; au lieu du pas mesuré et lourd qu’impose le cothurne, le mouvement rapide, et, comme un éclair dont s’illumine l’homme intérieur, le geste ; au lieu des longs récits, les scènes mêmes se passant sous nos yeux. On objecte que le théâtre de Shakespeare ne possédait que peu ou point de décors. Le fait est sans importance ; l’acteur, en chair et en os, se mouvait presque au milieu des spectateurs, auxquels n’échappait pas la moindre contraction musculaire, et la toile peinte du fond n’eût eu, dans cet agencement scénique, même au point de vue de la perspective, que bien peu de sens. Et puis il ne faut pas oublier, que si le décor proprement dit ne signifiait pas grand’chose, les costumes étaient d’un réalisme et d’une fidélité extrêmes, et que l’art du machiniste, grâce aux efforts de Shakespeare lui-même, parvint alors à un haut point de perfection. Il est évident que cette collaboration de l’œil, en tant qu’organe de construction artistique, modifie profondément toute la conception de « l’action dramatique ».

L’impression visuelle a contribué à transporter le drame du dehors au dedans. Le héros se dresse plus immédiatement près de nous ; non seulement nous le regardons dans les yeux, mais nous entrevoyons beaucoup de son cœur. Dans le drame antique, on se bornait à nous raconter les événements, et cette partie extérieure du drame, bien que ce ne fût pas aux yeux des spectateurs qu’elle fût présentée, n’en formait pas moins forcément la partie principale, car elle exigeait de nombreux et saisissants récits ; sitôt qu’à ceux-ci la vue directe se substitue, l’importance des événements eux-mêmes diminue en comparaison de ce qui se passe