Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/376

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dont le Grec n’eût pu pressentir en rien l’expression et l’effet. Toutes les possibilités d’où peut sortir la perfection suprême sont d’ores et déjà acquises. » Si donc le dramaturge avait pu, grâce à la collaboration de l’œil, faire d’un Hamlet le héros d’une action admirable et parfaite, Wagner, lui, a dépassé d’une distance égale le poète de Hamlet. À l’intelligence qui réfléchit et à l’imagination qui peint, à la vue qui convainc par l’image directe et matérielle, il a joint les révélations que nous donne la musique, du monde invisible, de l’homme intérieur. Et c’est là plus qu’un progrès seulement, car le drame a enfin trouvé sa langue propre, qu’il cherchait, nous l’avons vu, depuis si longtemps. En effet, son vrai but fut toujours d’exprimer l’indicible et l’ineffable ; de tout temps les vrais créateurs avaient dit : « En vérité, la grandeur du poète se mesure à ce qu’il tait, à l’inexprimable que, par son silence, il nous pousse à dire en nous taisant comme lui ». Mais comment pouvaient-ils se taire ? La parole n’était-elle pas leur seul moyen de se faire comprendre ? Même en mourant, Hamlet doit parler ; et c’est avec un suprême soupir d’affranchissement qu’il exhale ces mots : « Le reste est silence ». Mais ce silence, dont le sein recèle ce qu’il y a de plus vrai, de plus profond, de vraiment éternel dans le cœur humain, ce repos suprême, le musicien seul lui donne une voix qui est vraiment la sienne, car il dispose d’une langue nouvelle, d’une « langue, dans laquelle l’illimité peut enfin s’exprimer aussi clairement que possible ». Et qu’on ne s’imagine pas que la musique y puisse parvenir d’elle seule ; cela ne lui est pas possible. Wagner, dès le début, l’a compris ; jamais sa création musicale n’a prétendu se passer de la parole et de l’image scénique ; ce n’est que par et dans le drame que la musique