Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/59

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rôle très considérable dans la vie de Wagner. Il est vrai que, plus tard, il vit se former contre lui une vraie cabale organisée, parce que sa publication de Le Judaïsme dans la musique avait frappé en pleine poitrine des publicistes qui avaient leurs raisons de s’y croire visés ; mais cet écrit ne fit, tout au plus, que verser de l’huile sur un feu dès longtemps allumé, et ce ne fut, pour la presse, qu’une simple occasion de redoubler ses attaques. Cet homme, d’une noblesse sans tache, d’un absolu désintéressement, brûlant d’ardeur pour l’art pur et sacré qu’il rêvait, cet homme qui, pendant son existence entière, foula aux pieds son propre avantage, et, imperturbable, au milieu de « la lutte répugnante des intérêts et des risques » qui se jouait autour de lui, passa seul, l’œil fixé sur le pur idéal de sa vie, cet homme devait nécessairement susciter, sur son passage, les clameurs furieuses de tous les esprits vulgaires, de tous les brocanteurs de l’art, de toutes les médiocrités. Ses adversaires-nés, c’était l’armée des envieux et des impuissants : il n’avait qu’à paraître pour qu’elle se mît en marche. Jamais encore artiste ne se vit en butte à une haine aussi implacable.

Quand F.-T. Vischer, l’esthéticien, nous dit du second Faust de Goethe que c’est un « produit saveté » (ein geschustertes Produkt), tout homme de goût se sent blessé par la trivialité de l’expression. Mais comment qualifier le ton dont on osa parler d’un Richard Wagner, ton qui se répandit presque partout dans la presse européenne ? Je ne salirai point les pages de ce livre en y inscrivant des citations tirées de cette affligeante littérature ; il suffit de savoir qu’auprès de ces diatribes sans nom, les expressions que Vischer emploie à l’égard de Gœthe peuvent passer pour fleur de politesse. Il y a plus : un trait bien caractéristique