Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/82

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prirent, auprès de Wagner, pour un peu de temps, la place qu’avait remplie Mme Ritter, en lui venant en aide à leur tour. Ce furent eux qui offrirent à l’artiste ce qu’il cherchait en vain depuis longtemps, une habitation dans une situation charmante, où il pût trouver la tranquillité et le silence indispensables à son travail comme à son repos. Dans sa chaleureuse reconnaissance, il donna à cette demeure le nom bien caractéristique d’Asile. Non content d’avoir rendu à l’artiste, avec la plus délicate simplicité, un si grand service, ce couple d’élite sut l’entourer de ce qui répondait à ses besoins intimes : hospitalité constante pour lui et pour ses amis, appui et secours dans les difficultés de l’existence, aimables attentions, entière liberté d’épanchement avec la certitude d’être toujours compris ; animation d’une vie de famille toute de grâce et d’élévation, sympathie pour ses douleurs, enthousiasme pour son art.

Et cependant, toutes ces amitiés avaient un défaut commun, c’est que ceux qui aidaient cet homme n’avaient pas la pleine conscience de ce qu’il était réellement. Ils soupçonnaient à peine sa véritable grandeur. Dès lors, leur générosité, pour spontanée qu’elle fût, ne leur apparaissait point à eux-mêmes comme ce qu’elle était en un sens, une obligation. Il leur manquait cette conscience d’un devoir à remplir, que nous avons trouvée chez Liszt, et, par là même, leur libéralité gardait toujours comme une odeur d’aumône. Aussi Wagner lui-même se dégagea-t-il de ces liens l’un après l’autre ; il aima mieux se précipiter dans l’inconnu, et cela jusqu’à un dénûment tel, qu’il en vint à devoir mettre sa montre en gage (pendant qu’il composait le second acte de Tristan et Iseult) plutôt que d’abdiquer une seule parcelle de son indépendance. Pour conquérir