Page:Chambre d'assemblée du Bas-Canada, vendredi, 21 février 1834.djvu/68

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état de la province.

plus que mon simple mérite ; je regarde cette faveur comme le plus grand honneur, surtout lorsque je pense qu’on aurait pu y appeler plusieurs autres des membres qui y avaient les mêmes titres. Je suis, il vrai, dans une situation plus apparente, plus ouverte, mais je n’ai jamais fait que partager et suivre l’opinion publique, sans vouloir gouverner qui que ce soit. Je me flatte que personne n’est plus que moi dévoué à son pays ; et croit-t-on que cet homme, par le plus léger acte de complaisance pour l’administration, voudrait demander des places que son amour du bien public le forcerait de rejeter ? Ce n’est point vanterie ; j’ai quelquefois, quoique rarement, accepté des places ; mais ce ne fut point au sacrifice ou à l’oubli de mes principes. Durant la dernière guerre, nous avions eu (M. D. B. Viger, et moi) à nous plaindre de la conduite de Sir George Prévost, qui trompé par ses conseillers ordinaires, nous avait fait une injustice. Détrompé plus tard, il eut la franchise de faire des excuses et d’offrir une réparation aux deux personnes qu’il avait offensées injustement. Il m’appela à remplir une place que je ne voulus accepter qu’après avoir fait la déclaration expresse, que je serais toujours le même, et que je ne sacrifierais point mon indépendance et mes principes. Ce fut à ces conditions que je consentis aussi à entrer au Conseil Exécutif. Depuis on a plusieurs fois tendu des pièges à mon indépendance, en jetant devant moi l’appas des places et des faveurs de l’exécutif ; mais j’ai heureusement tenu ferme, en résistant à ces offres et à ces promesses.

Celui qui veut introduire ici le système électif serait bien extraordinaire, s’il avait les projets ambitieux que lui prêtent ses ennemis. Ils ne sont point de bonne foi ceux qui le représentent comme voulant se perpétuer dans le pouvoir. Mais on dit : Il est poussé par l’ambition. — L’expérience démontre que l’opinion publique est flottante et changeante. — Ceux qui ont des emplois permanens et ne peuvent être changés ne sont pas exposés à ses vicissitudes, comme là où les formes du gouvernement sont démocratiques ; c’est cette fluctuation d’opinion, ainsi que les changemens qui en sont la suite inévitable, que les amis du pouvoir regardent comme le malheur des formes démocratiques. Ceux au contraire qui veulent que les formes du gouvernement soient démocratiques, tiennent un langage tout différent ; ils disent que ce n’est pas un mal et que c’est un grand bien.

Voilà ce que j’ai cru devoir répondre à ceux qui m’ont prêté des sentimens et des vues que je n’ai point. J’ai toujours cru, et c’est peut-être l’occasion favorable de le dire, que les emplois publics quels qu’ils soient, offrent de bien faibles avantages ; et que c’est un jour heureux pour celui qui en sort pour rentrer dans les douceurs de la vie privée.

Les déclamations de la nature de celles dont je parle, empêcheraient partout la rectification des abus, si on se laissait intimider par elles. C’est une bien pauvre cause que celle qui est défendue par les sarcasmes et les injures dirigés contre des hommes qui ne sont point revêtus du pouvoir : il faut descendre dans la vie privée des citoyens. Cela est bas, cela est odieux. Il n’en est pas ainsi des hommes publics, qui doivent toujours rendre compte de leur conduite.

Or, en demandant des formes électives, ce n’est pas pour nous, qui demain rentrerons dans la masse de nos concitoyens, mais pour d’autres. Je crois donc que les seules considérations publiques influeront sur la Chambre, et feront voir que l’état du pays demande des institutions plus libres. C’est un pitoyable raisonnement que de dire que c’est une chose nouvelle que cette demande de réformer la constitution, qui peut toujours être modifiée, et qui ne nous donne point la millième partie de nos droits. [M. l’Orateur entre ici dans des explications que le bruit empêche le Rapporteur de saisir.] Les changemens demandées aujourd’hui auraient dû être introduits dans le principe. — En créant un Conseil comme le nôtre, on créait une chose insolite. L’Acte de 1791 n’était point une constitution, mais un renversement de constitution. Ceux qui ont étudié l’histoire de la Grande Bretagne y ont vu que le peuple anglais peut se procurer tout ce qui lui convient par le moyen de la Chambre des Communes, et même par la force des armes, principes bien reconnus. J’ai dit souvent à ceux avec qui je me suis trouvé en relation : Étudiez l’histoire d’Angleterre, et vous y trouverez ces principes et ces faits ; étudiez aussi l’histoire de ce pays ; vous verrez que vous pouvez proposer tout moyen de réforme, toute voie légale d’obtenir justice ; appuyez-vous sur l’influence des masses ; consultez l’opinion publique au moyen d’assemblées générales, et il est impossible que le pays ne puisse obtenir justice.

Il n’est rien de sage, de juste que le peuple ne puisse demander ; et si nous agissons dans l’intérêt et avec l’approbation du plus grand nombre, nos démarches seront justes. Ce n’est point l’intérêt d’une fraction ou d’une faction qui peut régler dans un pays ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Je crois que nous pouvons procéder à adopter les résolutions soumises à ce comité ; elles n’avancent que des faits reconnus et soutenus par des preuves.

La Résolution passe sans opposition ; ce discours dont ce qui précède n’est qu’une faible esquisse a duré une heure et un quart.


C.
Vendredi, 21 Février, 1834.

M. Quesnel prend la parole et dit : — Jusqu’à présent je n’ai pas encore eu occasion d’exprimer mon opinion sur la mesure qui nous est soumise. Je ne fatiguerai point l’attention de la chambre, mais je veux faire quelques observations sur ces résolutions. En les examinant avec soin il me semble qu’on veut s’adresser au Parlement Impérial. Je regrette que cela soit au-dessus de nos forces, si nous ne réussissons point, nous reculons le pays de 20 ans, et nous nous exposons à une perte sans ressource. Le gant est jeté ; la majorité a défié tous ses ennemis ; elle a fait une déclaration de guerre.

[M. Quesnel est interrompu pendant quelques minutes par l’arrivée d’un message de Conseil.]

Je disais qu’en nous adressant à l’Angleterre pour demander un changement dans notre Acte Constitutionnel, nous n’avions guère d’espoir de l’obtenir aujourd’hui, et que cette démarche entrainerait avec elle des suites désastreuses pour le pays. Irons-nous en Angleterre lorsque nous sommes en guerre avec toutes les autorités de la province ? Contre les règles de la saine politique, nous entreprenons plusieurs guerres à la fois. Nous déclarons la guerre au gouverneur, lorsque nous savons qu’il sera soutenu par les ministres, qui ont déjà approuvé sa conduite. Nous déclarons une autre guerre au conseil législatif qui, avec beaucoup de raison, se sent appuyé par l’Acte que le constitue. Nous dé-