Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/403

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— Amitié de cour, foi de renards, et société de loups.

— Je conseillerais à quelqu’un qui veut obtenir une grâce d’un ministre, de l’aborder d’un air triste, plutôt que d’un air riant. On n’aime pas à voir plus heureux que soi.

— Une vérité cruelle, mais dont il faut convenir, c’est que, dans le monde, et surtout dans un monde choisi, tout est art, science, calcul, même l’apparence de la simplicité, de la facilité la plus aimable. J’ai vu des hommes dans lesquels ce qui paraissait la grâce d’un premier mouvement, était une combinaison, à la vérité très-prompte, mais très-fine et très-savante. J’en ai vu associer le calcul le plus réfléchi à la naïveté apparente de l’abandon le plus étourdi. C’est le négligé savant d’une coquette, d’où l’art a banni tout ce qui ressemble à l’art. Cela est fâcheux, mais nécessaire. En général, malheur à l’homme qui, même dans l’amitié la plus intime, laisse découvrir son faible et sa prise ! J’ai vu les plus intimes amis faire des blessures à l’amour-propre de ceux dont ils avaient surpris le secret. Il paraît impossible que, dans l’état actuel de la société (je parle de la société du grand monde), il y ait un seul homme qui puisse montrer le fond de son âme et les détails de son caractère, et surtout de ses faiblesses à son meilleur ami. Mais, encore une fois, il faut porter (dans ce monde-là) le raffinement si loin, qu’il ne puisse pas même y être sus-