Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/43

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devenaient tous les jours moins fréquentes ; Racine, encouragé par les conseils et même par les bienfaits de Molière, qui par là donnait un grand homme à la France, n’avait encore produit qu’un seul chef-d’œuvre. Ce fut dans ce moment qu’on attaqua l’auteur du Misanthrope. Il avait déjà éprouvé une disgrâce au théâtre : Cotin, le protégé de l’hôtel de Rambouillet, comblé des grâces de la cour ; Boursault, qui força Molière de faire la seule action blâmable de sa vie, en nommant ses ennemis sur la scène ; Montfleuri, qui, de son temps, eut des succès prodigieux, qui se crut égal, peut-être supérieur à Molière, et mourut sans être détrompé ; tous ces hommes et la foule de leurs protecteurs avaient triomphé de la chute de D. Garcie de Navarre, et peut-être la moitié de la France s’était flattée que l’auteur n’honorerait point sa patrie. Forcés de renoncer à cette espérance, ses ennemis voulurent lui ôter l’honneur de ses plus belles scènes, en les attribuant à son ami Chapelle ; artifice d’autant plus dangereux, que l’amitié même, en combattant ces bruits, craint quelquefois d’en triompher trop complètement. Et comment un homme que la considération attachée aux succès vient de chercher dans le sein de la paresse, ne serait-il pas tenté d’en profiter ? Et s’il désavoue ces rumeurs, ne ressemble-t-il pas toujours un peu à ces jeunes gens qui, soupçonnés d’être bien reçus par une jolie femme, paraissent, dans leur désaveu même, vous remer-