Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/46

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l’on admet des intrigues de valets, des personnages d’un ridicule outré, lui donnait des ressources dont l’auteur du Misanthrope avait dû se priver. Ramené dans la sphère où les anciens avaient été resserrés, il les vainquit sur leur propre terrain. Quel feu ! quel esprit, quelle verve ! Celui qui appelait Térence un demi-Ménandre, aurait sans doute appelé Ménandre un demi-Molière. Quel parti ne tire-t-il pas de ce genre pour peindre la nature avec plus d’énergie ! Cette mesure précise qui réunit la vérité de la peinture et l’exagération théâtrale, Molière la passe alors volontairement, et la sacrifie à la force de ses tableaux. Mais quelle heureuse licence ! avec quelle candeur comique un personnage grossier, dévoilant des idées ou des sentimens que les autres hommes dissimulent, ne trahit-il pas d’un seul mot la foule de ses complices ! naïveté d’un effet toujours sûr au théâtre, mais que le poète ne rencontre que dans les états subalternes, et jamais dans la bonne compagnie, où chacun laisse deviner tous ses ridicules avant que de convenir d’un seul. Aussi est-ce le comique bourgeois qui produit le plus de ces mots que leur vérité fait passer de bouche en bouche. On sait, par exemple, que les hommes n’ont guère pour but que leur intérêt dans les conseils qu’ils donnent. Cette vérité, exprimée noblement, eût pu ne pas laisser de traces. Mais qu’un bourgeois, voyant la fille de son voisin attaquée de mélancolie, conseille au père de lui acheter une garniture