Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/55

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main sur ses crayons, l’abus que nous avons fait de la société et de la philosophie ; le mélange ridicule des conditions ; cette jeunesse qui a perdu toute morale à quinze ans, toute sensibilité à vingt ; cette habitude malheureuse de vivre ensemble sans avoir besoin de s’estimer ; la difficulté de se déshonorer, et, quand on y est enfin parvenu, la facilité de recouvrer son honneur et de rentrer dans cette île autrefois escarpée et sans bords ? Les découvertes nouvelles faites sur le cœur humain par La Bruyère et d’autres moralistes, le comique original d’un peuple voisin qui fut inconnu à Molière, ne donneraient-ils pas de nouvelles leçons à un poète comique ? D’ailleurs est-il certain que nos mœurs, dont la peinture nous amuse dans des romans agréables et dans des contes charmans, seront toujours ridicules en pure perte pour le théâtre ? Rendons-nous plus de justice, augurons mieux de nos travers, et ne désespérons plus de pouvoir rire un jour à nos dépens. Après une déroute aussi complète des ridicules qu’on la vit au temps de Molière, peut-être avaient-ils besoin d’une longue paix pour se mettre en état de reparaître. De bons esprits ont pensé qu’il fallait la révolution d’un siècle pour renouveler le champ de la comédie. Le terme est expiré : la nation demande un poète comique : qu’il paraisse ; le trône est vacant.


FIN DE L’ÉLOGE DE MOLIÈRE.