Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/85

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personnages en les mettant sous leurs yeux : illu- sion qu'on ne retrouve plus chez ses imitateurs , qui ont beau appeler im singe Bertrand et un chat Raton, ne montrent jamais ni un chat ni un ; singe. Qui peut frapper tous les peuples? C'est ce fond de raison universelle répandu dans ses fables; c'est ce tissu de leçons convenables à tous les états de la vie; c'est cette intime liaison de petits objets à de grandes vérités : car nous n'osons penser que tous les esprits puissent sentir les grâces de ce style qui s'évanouissent dans une traduction ; et, si on lit La Fontaine dans la langue originale , n'est-il pas vraisem.blable qu'en supposant aux étrangers la plus grande connaissance de cette langue, les grâces de son style doivent toujours être mieux senties chez un peuple où l'esprit de société , vrai caractère de la nation , rapproche les rangs sans les confondre ; où le supérieur vou- lant se rendre agréable sans trop descendre, l'in- férieur plaire sans s'avilir , l'habitude de traiter avec tant d'espèces différentes d'amour-propre, de ne point les heurter dans la crainte d'en être blessés nous-mêmes , doime à l'esprit ce tact ra- pide , cette sagacité prompte , qui saisit les nuan- ces les plus fines des idées d'autrui , présente les siennes dans le jour le plus convenable, et lui fait apprécier dans les ouvrages d'agrément les iinesses de langue , les bienséances du style, et ces conve- nances générales, dont le sentiment se perfec- tionne par le grand usage de la société. S'il est

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