Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t3.djvu/467

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PORTRAIT DE RULHIÈRE.


Il cachait un esprit très délié sous un extérieur assez épais. Très-malicieux avec le ton de l’aménité, très-intrigant sous le masque de l’insouciance et du désintéressement, réunissant toutes les prétentions de l’homme du monde et du bel esprit, il faisait servir ses galanteries à ses bonnes fortunes littéraires, et les lectures mystérieuses de ses productions à s’introduire chez les belles dames. Fort circonspect avec les hommes qui pouvaient l’apprécier, il était extrêmement hardi, à tous égards, auprès des femmes qui ne doutaient point de son mérite. Tout dévoué à la faveur et aux gens en place, il n’évitait, dans son manège, que les bassesses qui l’auraient empêché de se faire valoir. Souple et réservé, adroit avec mesure, faux avec épanchement, fourbe avec délices, haineux et jaloux, il n’était jamais plus doux et plus mielleux que pour exprimer sa haine et ses prétentions. Superficiellement instruit, détaché de tous principes, l’erreur lui était aussi bonne que la vérité, quand elle pouvait faire briller la frivolité de son esprit. Il n’envisageait les grandes choses que sous de petits rapports, n’aimait que les tracasseries de la poli-