Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t4.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

8 ^«UVRES

Que serait-ce si l'on voyait les traits de la rage et du désespoir, que la nature grave elle-même sur le front d'un homme et d'un peuple destiné à périr sans ressource ? et quel effet ne produirait point une terreur panique?

Une passion bien imitée trouve aussi aisément entrée dans le cœur humain , parce qu'elle va trouver les mêmes ressorts pour les ébranler , avec cette différence remarquable qui a sans doute frappé Esch}le : c'est que les passions feintes nous procurent im plaisir , au lieu que les passions véritables ne nous donnent qu'une satisfaction léi^ère et noyée dans une grande amertume. Un monstre horrible nous ferait sécher de frayeur; un misérable que nous ne pourrions soulager , nous déchirerait les entrailles : mais ce monstre et ce malheureux, en peinture, l'un lut-il plus effiayant que l'hydre de Lerne , et l'autre plus à plaindre que Bélisaire , ne sauraient manquer de faire un plaisir très-grand aux spectateurs , s'ils sont tracés par une main habile ; et voilà pourquoi Boileau a si bien dit après Aristote :

Il n'est point de serpent ni de monstre odieux , Qui , par l'art imité, ne puisse plaue aux yeux. D'un pinceau délicat l'artifice agréable, Du plus affreux objet fait un objet aimable. Ainsi, pour nous cliarmer, la tragédie en pleurs D'OEdipo tout sanglant (it parler les douleurs, D'OrcsIe parricide exprima les alarmes, Et pour nous divertir nous aixacha des larmes.

�� �