Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t4.djvu/262

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Je devrais, je le sens, vaincre ma violence…
mais prends pitié d’un cœur déchiré dès l’enfance,
que d’horreur, d’amertume on se plut à nourrir,
d’un cœur fait pour aimer, qu’on force de haïr.
Eh ! Qui jamais du sort sentit mieux la colère ?
Témoin, presqu’en naissant, des ennuis de ma mère,
confident de ses pleurs dans mon sein recueillis,
le soin de les sécher fut l’emploi de son fils.
Elle fuit avec moi ; je pars pour l’Amasie.
Dès ce moment, Achmet, l’imposture, l’envie,
quand je verse mon sang, osent flétrir mes jours ;
une indigne marâtre empoisonne leur cours.
Vainqueur dans les combats, consolé par la gloire,
je n’ose aux pieds d’un maître apporter ma victoire.
Je m’écarte en tremblant du trône paternel ;
je languis dans l’exil, en craignant mon rappel.
J’en reçois l’ordre, Achmet ; et quand ? Lorsque
ma mère
a besoin de ma main pour fermer sa paupière.
à cet ordre fatal juge de son effroi ;
expirante à mes yeux, elle a pâli pour moi ;
ses soupirs, ses sanglots, ses muettes caresses,
remplissaient de terreur nos dernières tendresses :
j’ai lu tous mes dangers dans ses regards écrits,
et sur son lit de mort elle a pleuré son fils.
Ah ! Cette image encor me poursuit et m’accable ;
et tandis qu’occupé d’un devoir lamentable,
je recueillais sa cendre et la baignais de pleurs,
ici l’on accusait mes coupables lenteurs ;
on cherchait à douter de mon obéissance.
Un fils pleurant sa mère a besoin de clémence,
et doit justifier, en abordant ces lieux,
quelques momens perdus à lui fermer les yeux !