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sur Chamfort.

sible, il avait même transigé avec des scènes cruelles, parce que à son imagination frappée des dangers de la chose publique on les avait offertes comme nécessaires pour la sauver. Ses bons mots, en passant de bouche en bouche, attestaient ses opinions & ses sentimens populaires. L’homme qui avait proposé pour devise à nos soldats, entrant en pays ennemis : Guerre aux châteaux, paix aux chaumières ; celui qui disait encore en 1792 : « Je ne croirai pas à la révolution tant que je verrai ces carosses & ces cabriolets écraser les passans », ne pouvait pas aisément passer pour un ennemi du peuple. Aucune des opinions de circonstance que le parti oppresseur reprochait au parti opprimé, n’avait été la sienne ; & il avait pour ainsi dire voté aussi ouvertement dans le club & dans la société qu’il l’aurait fait à la tribune. Comment donc le saisir, & sous quel prétexte le frapper ? On en fut d’abord embarrassé ; mais après le massacre des 22 Représentans du Peuple[1], après que les meilleurs Citoyens eurent été sacrifiés, & lorsque la tyrannie érigée par le crime, appuyée sur la terreur publique, ne garda plus de mesures, les calomnies d’un misérable délateur, employé subalterne à la Bibliothèque Nationale[2], suffirent pour jetter dans les fers & Chamfort, & avec lui le vénérable Barthélemy, son neveu Courçay[3], & deux autres employés supérieurs à la même Bibliothèque.

  1. Les vingt-deux leaders Girondins arrêtés sont condamnés à mort par le Tribunal révolutionnaire de Paris à l’issue d’un procès bâclé (24-30 oct. 1793), et guillotinés (31 oct.) — sauf un qui se suicide — pour satisfaire aux exigences des sans-culottes. (Note wiki)
  2. Il se nommait Tobiesen Duby.
  3. À la mort de son oncle (1795), le neveu lui succèdera au département des Monnaies, Médailles et Antiques, avant de devenir le premier président du Conservatoire de la Bibliothèque Nationale. (Note wiki)