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Page:Chamfort - Maximes, Pensées, Caractères et Anecdotes, 1796, éd. Ginguené.djvu/124

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de la société,

par la même raison que la plûpart des tailleurs sont cagneux.

Il n’est peut-être pas vrai que les grandes fortunes supposent toujours de l’esprit, comme je l’ai souvent oui dire, même à des gens d’esprit ; mais il est bien plus vrai qu’il y a des doses d’esprit & d’habileté à qui la fortune ne saurait échapper, quand bien même celui qui les a posséderait l’honnêteté la plus pure, obstacle qui, comme on sait, est le plus grand de tous pour la fortune.

Lorsque Montaigne a dit à propos de la grandeur : puisque nous ne pouvons y atteindre, vengeons-nous-en à en médire[1] ; il a dit une chose plaisante, souvent vraie, mais scandaleuse, & qui donne des armes aux sots que la fortune a favorisés. Souvent c’est par petitesse qu’on hait l’inégalité des conditions ; mais un vrai sage, & un honnête homme pourraient la haïr comme la barrière qui sépare des ames faites pour se rapprocher. Il est peu d’hommes d’un caractère distingué, qui ne se soit refusé aux sentimens que lui inspiraient tel ou tel homme d’un rang supérieur ; qui n’ait repoussé, en s’affligeant lui-même, telle ou telle amitié qui pouvait être pour lui une source de douceurs & de consolations. Celui-là, au lieu de répéter le mot de Montaigne, peut dire :

  1. Montaigne, Michel Eyquem de. Essais, Livre iii, Chap. 7 : De l’incommodité de la grandeur. « Puisque nous ne la pouvons aveindre, vengeons nous à en mesdire. » (Note wiki)