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Notice

à Sélis ; eh bien ! savez-vous ce qui m’arrivera ? J’aurai un prix à l’Académie ; ma comédie réussira ; je me trouverai lancé dans le monde, & accueilli par les Grands que je méprise : ils feront ma fortune sans que je m’en mêle, & je vivrai ensuite en philosophe. »

Ce pressentiment commença bientôt à se vérifier. Le prix qu’obtint à l’Académie son Épître d’un Père à son Fils sur la naissance d’un Petit-Fils, le fit connaître ; & sa figure, qui était alors très-jolie, son esprit brillant, ses reparties ingénieuses, lui procurèrent auprès des femmes un genre de succès qu’il est permis à cet âge de priser au moins autant que les succès académiques. Il avait un autre avantage que quelques hommes se sont bien trouvés pour leur fortune d’allier avec ceux de l’esprit, c’est celui d’une force physique à l’épreuve de toutes les fatigues & de tous les plaisirs. Aussi Madame de Cra…, la première belle dame dont il obtint plus, ou si l’on veut, autre chose que de l’amitié, disait de lui : « Vous ne le croyez qu’un Adonis & c’est un Hercule. »

Cependant il n’oubliait point ses camarades de collège, ni ses anciens professeurs. Dès qu’il eut remporté le prix, il adressa un exemplaire de son Épître à ce même M. Le Beau qui avait été obligé, à cause de ses espiègleries, à le renvoyer de sa classe de Grec. L’exemplaire était accompagné de ce billet : « Chamfort envoie son ouvrage couronné à son ancien & respectable maître, & lui demande pardon au bout de 9 ans pour Nicolas. » M. Le Beau répondit : « J’ai toujours aimé