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maximes
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fet, & l’effet pour la cause. Pourquoi supposez-vous que j’en dis du bien, parce qu’il est mon ami ? & pourquoi ne supposez-vous pas plutôt qu’il est mon ami, parce qu’il y a du bien à en dire ?

Il y a deux classes de Moralistes & de Politiques, ceux qui n’ont vu la nature humaine que du côté odieux ou ridicule, & c’est le plus grand nombre ; Lucien, Montaigne, La Bruyère, La Rochefoucauld, Swift, Mandeville, Helvétius, &c. Ceux qui ne l’ont vue que du beau côté & dans ses perfections ; tels sont Shaftesbury & quelques autres. Les premiers ne connaissent pas le palais dont ils n’ont vu que les latrines. Les seconds sont des enthousiastes qui détournent leurs yeux loin de ce qui les offense, & qui n’en existe pas moins. Est in medio verum.

Veut-on avoir la preuve de la parfaite inutilité de tous les livres de Morale, de Sermons, &c., il n’y a qu’à jetter les yeux sur le préjugé de la Noblesse héréditaire. Y a-t-il un travers contre lequel les Philosophes, les Orateurs, les Poëtes, aient lancé plus de traits satyriques, qui ait plus exercé les esprits de toute espèce, qui ait fait naître plus de sarcasmes ? Cela a-t-il fait tomber les présentations, la fantaisie de monter dans les carosses ? Cela a-t-il fait supprimer la place de Chérin[1] ?

Au Théâtre, on vise à l’effet ; mais ce qui distingue le bon & le mauvais Poëte, c’est que le premier

  1. Bernard Chérin (1718-1785) est un généalogiste et historiographe du roi. Réputé « sévère, désintéressé, incorruptible », il est anobli en 1774.
    Son fils, Louis-Nicolas Chérin (1762-1799) lui succède en 1787. Il publie un Abrégé chronologique d’édits, déclarations, règlements, arrêts et lettres patentes des rois de France de la troisième race concernant le fait de noblesse (1788). Rallié à la Révolution, il publie des Considérations sur le décret de l’Assemblée nationale relatif à la Noblesse héréditaire, aux noms, aux titres, & aux armoiries (1790). Il s’engagera dans l’armée ; général chef d’état-major de l’armée du Danube sous les ordres de Masséna, il sera mortellement blessé à Zurich (juin 1799). (Note wiki)