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Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/50

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que je t’offris. Ne crains pas de me quitter, ô mon ami, je te possède tout entier dans mon cœur. Je mourrai, je mourrai heureuse, oui, au comble du bonheur, par toi, pour toi. »

Je te laisse à penser combien ces lignes me déchirèrent le cœur. Je lui déclarai un jour que je n’étais nullement ce que l’on semblait me croire ; que je n’étais qu’un particulier riche, mais infiniment misérable ; que je lui faisais un mystère de la malédiction qui pesait sur ma tête, parce que je n’étais pas encore sans espérance de la voir finir ; mais que ce qui empoisonnait la félicité de mes jours, c’était l’appréhension d’entraîner après moi dans l’abîme celle qui était, à mes yeux, l’ange consolateur de ma destinée. Elle pleurait de me voir malheureux. Loin de reculer devant les sacrifices de l’amour, elle eût volontiers donné toute son existence pour racheter une seule de mes larmes.

Mina interpréta autrement ces paroles ; elle me supposa quelque illustre proscrit dont la fureur des partis poursuivait la tête, et son imagination ne cessait d’entourer son ami d’images héroïques.

Un jour, je lui dis : « Mina, le dernier jour du mois prochain décidera de mon sort ; mais si l’espérance m’abuse, je ne veux point ton malheur ; il ne me restera qu’à mourir. » À ces mots, elle cacha son visage dans mon sein. — « Si ton sort change, me dit-elle, laisse-moi seulement te savoir heureux. Je ne prétends point à toi ; mais si le malheur s’appesantit sur