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Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/75

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sentis défaillir ; je tombai sans connaissance, et je demeurai un temps considérable entre les bras de la mort.

Quand je revins à moi, des trépignements de pieds et des imprécations furent les premiers sons qui frappèrent mon oreille. J’ouvris les yeux. Il était nuit, mon odieux compagnon me donnait ses soins tout en m’accablant d’injures. — « N’est-ce pas là, disait-il, se conduire comme une vieille femme ? Allons ! qu’on se dépêche, et qu’on fasse ce que l’on a résolu de faire ; ou bien a-t-on changé d’avis, et veut-on s’en tenir à pleurer ? » Je me relevai péniblement de la terre ou j’étais étendu, et jetai en silence mes regards autour de moi. Il faisait tout-à-fait nuit. Dans la maison illuminée de l’inspecteur des forêts retentissait une musique bruyante. Quelques personnes parcouraient les allées du jardin ; deux d’entre elles s’approchèrent en conversant et vinrent prendre place sur le banc où moi-même j’avais été assis. J’écoutais leurs discours ; elles s’entretenaient du mariage de l’opulent M. Rascal avec la fille de l’inspecteur des forêts, mariage qui avait été célébré dans la matinée de ce même jour. Ainsi donc, c’en était fait.

Je retirai sans rien dire ma tête de dessous le bonnet de nuage de l’inconnu, qui disparut aussitôt à mes regards, et je me hâtai, en m’enfonçant dans l’épaisseur des bosquets et en passant par le berceau du comte Pierre, de regagner la porte du jardin. Cependant, attaché à moi comme un vampire, mon compagnon in-