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à prévoir. Cependant j’avais irrévocablement résolu, après avoir sacrifié mon amour et désenchanté ma vie, que pour toutes les ombres de la terre je n’engagerais point mon âme, quel que pût être l’évènement.

Un jour, nous étions assis à l’entrée d’une caverne que les étrangers qui voyagent dans les montagnes ont coutume de visiter. La voix des torrents souterrains se fait entendre dans une profondeur immense, et les pierres que l’on jette dans le gouffre retentissent long-temps dans leur chute, sans paraître en atteindre le fond.

L’homme gris, selon sa coutume, me faisait, avec une imagination prodigue et toute la magie des plus vives couleurs, le tableau ravissant de tout ce que je pourrais effectuer dans ce monde, au moyen de ma bourse, dès que j’aurais recouvré la propriété de mon ombre.

Les coudes appuyés sur mes genoux, cachant mon visage dans mes deux mains, je prêtais l’oreille au corrupteur, et mon cœur hésitait entre les attraits de la séduction et l’austérité de ma volonté. Je ne pouvais plus longtemps rester ainsi en guerre avec moi-même ; j’engageai enfin un combat qui devait être décisif.

« Vous paraissez oublier, Monsieur, que, si je vous ai permis de m’accompagner jusqu’ici, ce n’a été qu’à certaines conditions, et que je me suis réservé mon entière liberté. — Dites un mot, répondit-il, et je ferai mon paquet. » Cette sorte de menace lui était familière. Je