Page:Champollion - Grammaire égyptienne, 1836.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cune réserve, abusa de la bonne foi de ses contemporains, en publiant, sous le titre Œdipus Ægyptiacus, de prétendues traductions des légendes hiéroglyphiques sculptées sur les obélisques de Rome, traductions auxquelles il ne croyait point lui-même, car souvent il osa les étayer sur des citations d’auteurs qui n’existèrent jamais. Du reste, ni l’archéologie, ni l’histoire ne pouvait recueillir aucun fruit des travaux de Kircher. Qu’attendre, en effet, d’un homme affichant la prétention de déchiffrer les textes hiéroglyphiques à priori, sans aucune espèce de méthode ni de preuves ! d’un interprète qui présentait comme la teneur fidèle d’inscriptions égyptiennes, des phrases incohérentes remplies du mysticisme à la fois le plus obscur et le plus ridicule !

Les rêveries de Kircher contribuèrent aussi à répandre dans le monde savant ce singulier préjugé, subsistant aujourd’hui même dans quelques esprits, d’après lequel les inscriptions hiéroglyphiques sculptées sur tous les monuments, sans exception, étaient jadis comprises par ceux-là seuls d’entre les Égyptiens que leurs lumières avaient appelés aux grades avancés de l’initiation religieuse. On croyait alors que tous ces textes antiques roulaient uniquement sur des sujets cachés et mystérieux ; qu’ils étaient un objet d’étude réservé à une petite caste privilégiée, et qu’ils renfermaient uniquement les doctrines occultes de la philosophie égyptienne. Cette idée fausse parut en quelque sorte confirmée par l’opinion, tout aussi hasardée, qui attribuait alors à la masse entière des signes composant l’écriture sacrée des Égyptiens, une nature purement idéographique. On en était venu à considérer toute inscription égyptienne comme une série de symboles et d’emblèmes, sous lesquels se cachaient obscurément de profonds mystères, en un mot, comme la doctrine sacerdotale la plus secrète expliquée par des énigmes.

Partant de pareilles hypothèses, les études égyptiennes ne pouvaient compter sur aucun progrès réel, puisque, d’autre part, on voulait parvenir à l’intelligence des inscriptions hiéroglyphiques en négligeant précisément le seul moyen efficace auquel pût se rattacher quelque espoir de succès : la connaissance préalable de la langue parlée des anciens Égyptiens. Cette notion était cependant le seul guide que l’explorateur dût adopter avec confiance, dans les trois hypothèses possibles sur la nature de cet antique système graphique.

Si, en effet, l’écriture hiéroglyphique ne se composait que de signes purement idéographiques, c’est-à-dire de caractères n’ayant aucun rapport direct avec les sons des mots de la langue parlée, mais représentant