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Paris, 8 octobre.

Je n’ai pas oublié vos tendresses, le magnétisme irrésistible. Après m’avoir deux fois abandonnée, vous sonnez contre moi les trompettes du jugement dernier.

Tenez, je voudrais tremper ma plume dans le sang de mon cœur et vous écrire, triste ou gai, ce qui monte à ce cœur tout plein de souvenir.

Le souvenir, c’est la caresse de l’amour éloigné. Eh bien, je ne m’en cache pas, j’ai pleuré, je pleure les baisers envolés, je pleure votre cœur, que je ne trouve plus pour reposer le mien.

Maintenant, j’ai résolu de ne plus vous écrire, de ne plus penser à vous. Il paraît que c’est fort difficile, car il vous aimait beaucoup, ce pauvre cœur, et je crois qu’il ne désirait rien de plus en ce monde. Voici une mèche blonde : il faut la mettre, avec le portrait, sous un crêpe noir. Si vous avez à m’écrire, votre lettre sera comme le soleil qui sourit dans la pluie. Ne m’en privez pas.

Pauvre petite amie.

Laure de Sergy.
Nice, 11 octobre.

Ma chère Laure, le croiras-tu de moi, si mauvais pour ton amour ? Je pleure aussi. C’est inconséquence. Qui sait ? Le bonheur passe-t-il sur mon chemin sans que je le voie ?

Crois-moi, cher cœur, je t’aime de toute mon âme. Tu survis à tous les désirs, à tous les caprices. Tu es ce que je rêve. Pourquoi donc ? Pourquoi ? je n’aime que toi, je n’ai jamais aimé que toi, et, si jamais j’en aime une autre, ce sera encore toi. Petit idéal d’élégance et de tendresse aventureuse, étoile blonde, qui aurais dû attendre pour parcourir le ciel afin de guider ma vie amoureuse de toi, je regrette tes premiers rayons. Cher amour, fins et longs cheveux d’or clair, je vous adore : vous êtes tout ce qui m’a ému au monde !

Je suis obligé de m’interrompre. Mes yeux sont obscurcis de larmes. Je pleure les joies qui ont passé devant moi, l’affection de ma vie évanouie, je pleure ce que j’aurais voulu, ce que je payerais de cinq ans d’existence… J’ai bien pensé à toi.

Quels seront nos destins ? Mais tu devais être à moi, et, s’il est un Dieu bon et tendre, car parfois on voudrait croire, il aurait dû réunir nos deux âmes durant l’éternité. Elles n’en font qu’une… N’envie personne, chérie, tu as le meilleur de moi.

Être bizarre, je lutte contre moi-même. J’embrasse la mèche de cheveux que tu m’as envoyée ; dans ce baiser je mets ce que je ne donne jamais, tout ce que j’ai d’amour et de chimère.

Jacques.