Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/63

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des conquêtes et des gloires dont peut s’enorgueillir le poème symphonique[1].

Dans les années où Richard Strauss naissait à la vie artistique, l’Allemagne impériale, devenant en Europe, comme les États-Unis l’étaient en Amérique du Nord, le « pays des possibilités illimitées », poussait à l’extrême dans tous les domaines les audaces de la technique, dont elle étendait chaque jour les conquêtes et multipliait les succès, construisant pour son compte les barrages les plus gigantesques, les usines les plus vastes, les gares les plus monumentales, les laboratoires les mieux outillés, et inondant le monde des machines les plus perfectionnées pour substituer l’engrenage d’acier à la main de l’homme. Fils de cette époque, qu’il domine dans son art par la force de l’imagination et la richesse des moyens, Richard Strauss en a partagé et représenté l’idéal de maîtrise et de puissance, exigeant de la musique ce que ses compatriotes obtenaient au même moment de la roue et de la courroie, tiraient du creuset ou de la cornue. Wagner, dont Richard Strauss reste indépendant, mais dont il tient compte, avait d’ailleurs étendu comme on sait le domaine, accru la puissance et amplifié le rôle de l’orchestre, donnant aussi dans l’Anneau du Nibelung et les Maîtres-Chanteurs l’exemple d’œuvres aux proportions inaccoutumées[2]. Pareillement, dans ses poèmes symphoniques, avec une hardiesse et une virtuosité éclatantes — mais dont l’éblouissement, nous le verrons, aveugle parfois plus qu’il n’éclaire —, Richard Strauss a voulu astreindre, rompre la musique aux tâches les plus scabreuses pour en faire une machine à fabriquer des images et des idées, et il en a exploité le pouvoir

  1. Après Smetana, le Démon de Napravnik, l’Homme des eaux, la Sorcière de midi, le Rouet d’or, la Colombe de la forêt de Dvorak ne sont que des œuvres descriptives et d’ailleurs secondaires.
  2. Zarathoustra durera quarante-cinq minutes, ce qui, pour un poème symphonique, vaut bien les cinq heures du Crépuscule des dieux.