Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus fortes, mais sa division en trois morceaux et son parallélisme avec les péripéties d’un drame en font tout autre chose qu’un véritable « poème symphonique ».

Sa Saugefleurie, comme la Viviane d’Ernest Chausson, autre élève de Franck, sont des « légendes » qui ramènent l’inspiration poétique et musicale d’Allemagne en France et du Harz à Brocéliande[1].

Plus tard, d’Indy analysera, avec la méthode la plus judicieuse, les impressions que laisse, le matin, l’après-midi et le soir, un Jour d’été à la montagne. Mais c’est encore un triptyque et non un poème symphonique, malgré la transformation adroite d’une robuste marche qui, le soir, ramène chez lui le travailleur, en un thème de pieuse méditation, avant le repos du sommeil[2]. Quant aux Souvenirs, dédiés par lui à la mémoire de la « bienaimée » (c’était sa première femme), le lyrisme appliqué en reste trop subjectif[3] et trop mat pour que l’on compte cette page, d’une inspiration d’ailleurs si respectable, au nombre des véritables poèmes symphoniques, où le lyrisme doit s’épanouir, pour se faire plus communicatif et plus objectif.

Deux poèmes symphoniques français de cette période marquent particulièrement : l’Apprents sorcier de Paul Dukas et la Procession nocturne d’Henri Rabaud[4].

Die ich rief, die Geister,
Werd’ ich nun nicht los !

(« Les esprits que j’ai appelés, je ne puis plus maintenant m’en débarrasser »), cette moralité qui, chez Gœthe,

  1. Depuis Pelléas, lorsque l’on parle de Brocéliande, beaucoup de personnes distinguées, trompées par la rime, prennent le Pirée pour un homme et la forêt de Brocéliande pour une princesse de rêve, du type de Mélisande…
  2. Ce motif est celui du Virgo prudentissima, emprunté au Magnificat de l’Assomption, jour insigne entre les « jours d’été », idée fort judicieuse dans une œuvre qui en évoque les heures.
  3. D’Indy emprunte à une de ses œuvres déjà anciennes, le Poème des Montagnes, pour piano, le thème de la « bien-aimée » ; cette allusion n’a de sens que pour lui ; elle échappe aux auditeurs et donne à l’ensemble ce caractère subjectif et confidentiel, d’où ne se dégage que le lyrisme d’un vrai « poème symphonique ».
  4. L’An mil, de Gabriel Pierné, qui connut un certain succès, en 1898 — et qui, d’ailleurs, contient une partie chorale —, était une sorte de parade symphonique assez pittoresque, mais nullement un « poème », malgré son titre.